Liquid Tension Experiment 2 (interview)

Un article de Dreamologie.

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Jordan Rudess
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Jordan Rudess

Jordan Rudess étant de passage en France début novembre, pour travailler sur un projet avec le guitariste Pierre Bensusan et un choeur d'enfants, nous avons profité de l'occasion pour faire le déplacement à Boulogne Sur Mer et nous entretenir avec ce claviériste talentueux. Sachant que c'est lui qui avait composé la majorité des titres du premier album de Liquid Tension Experiment, il nous a semblé opportun de faire le point avec lui au moment où l'enregistrement du deuxième opus de Liquid Tension Experiment était interrompu pour cause de paternité précoce de John Petrucci, dont la femme a donné naissance à une petite Kiara pendant les sessions d'enregistrement. Bilan et perspectives avec un homme discret mais redoutablement efficace.

Your Majesty : Alors Jordan, dis-nous tout à propos du nouveau Liquid Tension Experiment...

Jordan Rudess : Et bien d'une certaine manière, nous avons procédé comme pour le premier album. Nous sommes rentrés en studio très excités à l'idée de faire un nouveau disque, et comme la dernière fois, j'ai apporté avec moi tout un tas d'idées, de riffs, que j'avais enregistrés sur mon séquenceur. J'étais vraiment impatient de soumettre ces idées aux autres. Le premier jour, nous n'avons pas fait grand chose, car ce sont les retrouvailles et l'échauffement, la mise en condition en quelque sorte. Ce n'est qu'une fois que nous avons été confortablement installés que j'ai fait écouté à Mike, John et Tony ce que j'avais composé. Il y avait tellement de choses que nous avons procédé en plusieurs fois. Mike prenait des notes au fur et à mesure. Voilà un peu le point de départ. Nous avons ensuite commencé à travailler sur ce matériel, dans une ambiance similaire à celle qui régnait lors de notre première expérience. Nous avions cette fois encore l'objectif de faire l'album en quelques jours et nous avons pas mal jammé. Je crois que la pression était un peu plus forte cette fois-ci. Nous étions vraiment anxieux et nous ne savions pas si nous serions capables de rééditer la performance de la dernière fois, en si peu de temps. Il nous a fallu un peu plus de temps pour démarrer. Ce projet s'apparente un peu à une fusée qui décolle, que nous essayons d'arracher à la gravité terrestre. Il faut énormément d'énergie à l'allumage, même si elle s'élève ensuite très vite une fois le décollage réussi. Et au moment où nous étions en train d'arriver à faire décoller ce projet, que nous avions déjà un morceau de 20 minutes de près, le téléphone a sonné. Et John Petrucci nous a dit " Ok les gars, je dois vous quitter, ma femme va accoucher ! ". Nous étions un peu sous le choc, mais s'il y a une bonne raison d'arrêter une session d'enregistrement, c'est bien celle-ci. Que peut-on y faire ? Nous étions tout de même un peu désarçonnés, coupés au moment où nous pouvions nous dire que nous étions capables de refaire un disque comme le premier, au moment où nous étions en route vers la lune. Nous nous sommes alors demandés ce que nous devions faire, et Magna Carta aussi. Devions-nous arrêter ? Nous sommes finalement arrivés à la conclusion que nous pouvions continuer à trois encore quelques jours. John et moi avions commencé à travailler sur un morceau aux influences latines, nous avons donc continué à le travailler sans lui, et nous l'avons couché sur une partition. Nous nous sommes dit que nous reviendrions dessus la prochaine fois, pour en faire un morceau qui tue. Nous avons eu quelques moments magiques à trois, que nous avons bien évidemment enregistrés. Nous pourrons donc demander à John de s'en imprégner et de proposer des idées. Mike et moi avons également eu quelques bonnes jams, dans l'esprit du Rudess Morgeinstein Project. Nous utiliserons tout cela ; John verra comment il peut intervenir dessus et nous le réenregistrerons. Nous avons donc quitté le studio avec quelques CD-R sous le bras, des jams et des morceaux plus aboutis. La prochaine session aura lieu début décembre, 4 ou 5 jours, et j'espère qu'aucun de nous n'aura d'enfant à ce moment là (rires) !

Visiblement, tu étais encore une fois le seul à arriver en studio avec du matériel de prêt ?

Tony avait également quelques riffs autour desquels nous avons travaillé, tout comme John Petrucci qui avait également 2 ou 3 idées. Mais moi, j'en avais des millions ! Je n'arrêtais pas de leur dire " Ecoutez ceci, et ça ! Et encore ça ! ".

As-tu une idée du producteur ?

Pas encore. Je pense que John et Mike aimeraient que ce soit Kevin Shirley qui le produise, mais ce n'est pas sûr qu'il puisse. Le bébé de John est venu perturber nos plans, et tout est devenu incertain.

J'ai entendu parler d'une éventuelle tournée de Liquid Tension Experiment ?

Oui, absolument. Il y a quelques jours de cela, j'ai reçu des e-mails de Mike à ce propos. Il était initialement prévu que nous tournions en janvier, mais je ne suis pas sûr que cela soit maintenu à cette période. Cela dépendra de la sortie de l'album car initialement, nous souhaitions attendre la sortie du disque pour commencer la tournée. Maintenant, il faut voir. Je pense qu'il est tout de même préférable d'attendre un peu. Mais cela dépendra surtout de nos emplois du temps. En tout cas, pas mal de gens semblent intéressés par LTE live.

Et en dehors de LTE, sur quoi travailles-tu actuellement ?

J'ai été vraiment très inspiré par la perspective de cette nouvelle aventure avec LTE. J'ai des choses à différents stades d'avancement, du simple riff au morceau entier, en passant par des improvisations. J'ai tout cela en boîte, sur mon séquenceur. Je savais que toutes ces choses ne seraient pas forcément appropriées à LTE, que certaines colleraient mieux au RUDESS MORGENSTEIN PROJECT ou à d'autres projets. Ce qui fait que je dispose de plein de trucs.

Et quels sont les musiciens avec qui tu aimerais bosser ?

C'est une bonne question... Je voulais vraiment travailler avec Trevor Rabin (ndr : guitariste de Yes), et j'ai été en contact avec lui il y a quelque temps. Il était intéressé par un projet genre LTE, mais à l'époque il était très occupé à travailler sur des musiques de films, et nous en sommes restés là. Mais c'est définitivement quelqu'un avec qui j'aimerais travailler. En matière de batteurs, je crois que j'ai déjà travaillé avec deux des plus grands, Rod (Morgenstein) et Mike (Portnoy), mais cela me plairait bien de bosser avec Bill Bruford. J'en ai d'ailleurs parler à Tony. Et bien évidemment, j'aimerais avoir l'opportunité de jouer avec des gens comme Robert Fripp (guitariste de King Crimson) ou Jon Anderson de Yes. Un de mes guitaristes préférés est Steve Vai, mais je me méfie des guitaristes... Dans les groupes de rock, c'est toujours la guerre entre eux et les claviéristes et malheureusement, les guitaristes l'emportent souvent et on a toujours du mal à entendre les claviers. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai monté ce projet avec Rod. Ce que je trouve amusant, c'est qu'au fil des années, certaines de mes idoles ont cessé de l'être. Si quelqu'un m'avait posé la même question quelques années plus tôt, je n'aurais pas donné les mêmes noms, et j'en aurais surtout cité beaucoup plus. Mais au fur et à mesure que tu grandis, que tu mûris, tu réalises bon nombre de choses, tu grandis musicalement et le cercle de tes idoles se réduit. Je reste cependant toujours très attaché aux groupes de progressif comme YES, GENTLE GIANT, GENESIS. J'aimerais bien bosser avec Peter Gabriel. Je ne pense pas que ce serait très progressif. Quoique... Il est tellement inspiré.

Au fait, tu as fait un concert avec Dream Theater en septembre 94, et on a même parlé de toi comme remplaçant potentiel de Kevin Moore. Que s'est-il passé réellement ?

En 93, j'ai sorti un album solo, Listen, qui a retenu l'attention des magazines spécialisés dans les claviers. J'ai eu pas mal d'excellentes chroniques et l'album a connu un certain succès auprès du public de ces magazines. Et dans le référendum de fin d'année, j'ai été élu " meilleur nouveau talent " dans certains journaux. Après que Kevin Moore, que je connaissais un tout petit peu, leur ai annoncé qu'il voulait quitter le groupe, ils ont cherché un nouveau claviériste, et ils ont commencé par ouvrir les magazines. Il se sont dit " il a gagné le référendum , il doit être bon. Appelons-le ! ". D'autant plus que Kevin leur avait déjà parlé de moi. Ils m'ont appelé. J'ai fait une répétition avec eux et ça a plutôt bien fonctionné. C'était très peu de temps avant qu'ils jouent au Foundations Forum début septembre 94, et je savais que ce show, prévu avant que Kevin ne leur annonce son départ, était très important pour eux. J'ai donc décidé d'au moins les dépanner pour ce show. Intégrer DT me tentait, mais au même moment, j'ai eu une offre des Dixie Dregs, qui recherchaient un clavier pour une tournée. Je devais donc faire un choix. DT est un groupe vraiment métal, qui ne me permettrait donc sans doute pas de m'exprimer pleinement, d'autant plus que les 2 John et Mike, qui forment le corps du groupe, ont une complicité déjà ancienne et qu'il m'aurait été difficile de m'intégrer totalement. Les Dixie Dregs sont un groupe où l'espace de liberté pour un claviériste me semblait plus important, même s'ils vendent 5 ou 10 fois moins que DT. Et les membres des DREGS sont plus dans ma tranche d'âge. J'ai donc étudié les deux propositions, très sérieusement, et je me suis décidé pour les DREGS. Je n'avais pas non plus tellement envie de faire 200 concerts par an, comme le fait DT, et je voulais un groupe qui me laisse le temps de travailler sur d'autres projets.

A ce propos, quand est-ce que tu rejoues avec les DREGS ?

Je crois que personne ne connaît la réponse à cette question. Steve (Morse) a pas mal de boulot avec Deep Purple et tous les autres sont également assez occupés. Rod enseigne deux jours par semaine à la Berklee School of Music (ndr : la plus prestigieuse école de musique américaine, là où ont été formés les membres de DT). De mon côté, j'ai LTE, mais je bosse aussi pour les claviers Kurzweil. Nous savons tous que cela arrivera un jour, mais il nous est impossible de dire quand. Et très honnêtement, si les DREGS se reforment, je ne suis même pas sûr de faire partie du voyage car aujourd'hui T. Lavitz, le clavier officiel des DREGS, est en bonne santé. Je l'ai remplacé au sein du groupe car il connaissait une période difficile dans sa vie et il n'était plus capable d'assumer. Bien sûr, nous avons trouvé que notre formule fonctionnait bien, et nous avons envie de rejouer ensemble, mais si T a retrouvé toutes ses facultés, il est logique qu'il reprenne sa place au sein du groupe. Voilà où nous en sommes et c'est pour cette raison qu'il m'est difficile de répondre à ta question.

Et pourquoi pas un groupe avec deux claviéristes ! Mais penses-tu franchement que Steve trouvera le temps, et l'envie, de reformer les Dregs ?

Oui, je le crois. Je crois que les Dixie Dregs sont typiquement le genre de groupe qui refera surface régulièrement, tous les 5 ans par exemple. Nous verrons. A côté de cela, j'aimerais bien faire un disque avec Steve, ce serait une expérience intéressante. Steve et moi avons eu quelques bons moments pendant les balances avant les shows des Dregs, et nous nous sommes dits que nous devrions composer et écrire ensemble. Peux-tu résumer ta carrière, car je pense que finalement assez peu de gens te connaissent ?

J'ai une formation classique. Quand j'étais jeune, je suis allé à la Juliard School, à New-York, dans le but de devenir pianiste de concert. J'ai d'ailleurs commencé ma carrière de concertiste vers l'âge 9 ans, dans des orchestres d'enfants. A Juliard, notre formation était extrêmement sévère, et très stricte, car la seule voie envisagée, et envisageable, était celle qui menait au concert. Il n'y avait pas d'autre choix, alors que je souhaitais plutôt m'orienter vers l'improvisation. A cette époque, je m'entraînais vraiment beaucoup mais lorsque je me retrouvais à la maison, où mes parents écoutaient pas mal de chansons populaires, j'aimais improviser sur les accords de ces chansons, ce qui me changeait de la musique classique. Cela ne m'empêchait évidemment pas d'être par ailleurs très assidu dans ma pratique de la musique classique. Cela a duré jusqu'à ce que j'ai 17 / 18 ans, jusqu'au moment où des copains du lycée ont commencé à m'apporter des disques de GenesisS et de Gentle Giant. Ce qui a changé ma vie, c'est un solo qui se trouve sur l'album Refugee, un solo de mini-mog qui m'a vraiment marqué. J'ai su à ce moment-là qu'il fallait que je me procure un mini-mog. Dans ma chambre, à Juliard, j'avais un mur entier tapissé de photos de mini-mogs ! Et l'autre disque qui a vraiment changé ma vie, c'est Tarkus de ELP. Je me souviens encore du jour où on me l'a fait écouter pour la première fois. Ensuite, je n'ai pas arrêté de l'écouter, encore et encore, et je me suis lancé à la recherche de l'argent qui me permettrait d'acheter le clavier de mes rêves. C'était au moment où nous devions passer l'audition qui nous permettrait de rentrer à la fac et suivre la voie qui menait au concert. Juliard était une préparation à cet examen. J'avais la pression de ma famille, de mon entourage, mais je n'étais plus tout à fait sûr d'avoir envie de devenir concertiste. J'ai donc décidé de passer quand même l'audition. J'ai réussi, et on m'a dit " Très bien, maintenant c'est certain, tu seras concertiste ", ce à quoi j'ai répondu " Maintenant c'est sûr, je ne veux pas devenir concertiste ". J'avais mon mini-mog, ma pédale basse Taurus, et je m'éclatais comme un fou. C'était ma période de rébellion. J'avais trouvé des potes avec qui nous faisions des improvisations, dans des émissions de radios de différentes facs, etc. Mais au bout d'un moment, il a fallu que je redescende sur terre. Je traînais donc dans les salons de musique, histoire de voir si je pouvais trouver un job dans la musique. Et un jour que j'étais dans un des ces salons, avec mon synthé à piles, qui avait quand mêmes quelques sons assez cools, je suis tombé sur un guitariste qui jouait comme un fou. Je lui ai demandé si je pouvais jammer avec lui. Il a accepté et nous avons donc joué un moment. A la suite de cela, nous nous sommes présentés, nous nous sommes serrés la main et voilà. Deux ans plus tard, j'ai reçu un coup de fil du manager de Vinnie Moore, qui était le guitariste avec qui j'avais joué. Cela faisait six mois qu'ils essayaient de me retrouver car Vinnie avait besoin d'un claviériste et il souhaitait que ce soit moi. Ce disque avec Vinnie a été mon premier pas dans ce milieu, même s'il s'apparentait plus à un pied coincé dans une porte entrebâillée qu'à un véritable pas !

La fin de l'interview de Jordan, ainsi que sa discographie, se trouve dans le nouveau numéro de Your Majesty (n°22)