James LaBrie : Vocal practicing

Un article de Dreamologie.

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Partons sur l'idée, pas vraiment inepte en fait, que James LaBrie est l'une des voix les plus intéressantes de la scène rock. Admettons. Seulement, en quoi est-il si unique ?

La musique de Dream Theater évolue dans une mouvance musicale où les tics et les poncifs affluent. D'une part, le prog-metal revêt pour l'auditeur 1ambda une couleur sonore heavy-metal de base - riffs coupants, batterie carrée à timbre aiguë et sec, voix haut perchée - d' autre part, il utilise, dans les compos, un vocabulaire immédiatement mimétique aux architectures progressives : structure éclatée, métrique décalée sur riffs terno-binaires, ostinato instrumental pour progression harmonique tournante... De plus, de par les conditions drastiques de ce style doublement borné, les chanteurs n'ont, dans les formations vouées à cette musique, que peu de solutions pour s'y frayer une ligne de chant. La question se répète : en quoi la voie vocale (sans jeu de mot) du chanteur de D.T est-elle unique ?

Commençons par le général avant d'atteindre le particulier . le contexte dans lequel LaBrie évolue, la musique de Dream! On ne chante pas dans Yes ou Rush (cf. Working man où JLB le prouve) comme dans D.T. Ce groupe arrive à se jouer du double bornage précité grâce à l'apport constant d'éléments pop, fusion,jazz ou classique extrêmement bien digérés. Cela oblige à un chant " tout- terrain " (comparez Lie à Another World) dans lequel il faut bien le reconnaîfre The Brie n'a que peu d'égaux. On voit bien que Geddy Lee (Rush) ou Geoff Tate (Queensrÿche) n'utilisent qu'une seule " empreinte vocale ". De même, un chanteur impressionnant comme Andre Matos (Angra) se contente de l'impact de sa large tessiture [intervalle entre la plus haute et la plus basse note qu'une voix puisse atteindre] qu'il décline simplement de deux façons : claire ou rageuse. Le premier chanteur de Dream, Charlie Dominici, avec ses apprêts vocaux Hard FM à la limite de l'autoparodie - c'est de toute façon un genre incroyablement casse-gueule vis-à- vis de cet écueil là - se cantonne à un chant sans relief dans des compos qui le méritent pourtant (cf. les ré- interprétations de James the voice).

Nous venons de toucher une idée essentiel du chant du Brie : il a dépasser la simple expression du rock mélodique . Si Steve Perry, le chanteur de Jouney, reste l'une de ses grandes idoles, il a parfaitement intégré les rouages du genre (mélodies limpides avec prononciation claire mais sobre et résonances aiguës pour percer le mur sonore du groupe) en le complexifiant d' une palette vaste. A la sortie d'Images and Words, le seul autre vocaliste intégrant des univers vocaux aussi différents (voire Take the Time) n'est autre que le pionnier Mike Patton (Faith No More) dont le style mutant étonnait alors. C'est donc une voie rare qui montre en ce qui concerne D.T. l' incroyable complicité avec des compositeurs qui permettent à leur chanteur de repousser ses limites.

Pour comprendre comment James LaBrute fait de ce " caméléonisme " vocale un style à part entière empreint d'une solidité et d'une unité incontestable, il va falloir entrer dans les rouages étranges et méandreux de la technique du chant. En effet, le monde du rock envisage rarement le chant de ce point de vue. Pourtant, il faut bien être conscient qu'il est un véritable travail d' instrument. Il n'y a aucun magazine sérieux consacré à ce travail ; si les études et interviews de guitaristes, batteurs ou bassistes pullulent, on interroge rarement un chanteur sur les tenants et aboutissants de ses recherches vocales. Cependant, elles sont des plus complexes. A l'apprentissage de la technique s'ajoute la formation même de l'instrument : le corps humain qui doit se débarrasser de ses habitudes quotidiennes pour servir de caisse de résonance.

Il faut donc faire un distinguo entre le chant variété-rock et le chant dit lyrique (c'est à dire l'opéra), distinguo inclusif car le deuxième dépasse largement le premier. Le lyrique est l' exigence ultime du chant Elle s'exprime par la contrainte sévère d'acquérir une impeccable unité de voix sur toute la tessiture. En gros, quelques soient les méandres du solfège, que la mélodie monte, descende, qu'elle en appelle aux graves, aux médiums et aux aiguës, le chanteur lyrique confirmé est capables de faire tenir toutes ces disparités dans une seule et même " boîte " : une voix pleine et ancrée dans son corps qui remplit également l'espace dans lequel elle résonne. Pour compléter cette approche technique sommaire, sachez qu'une des c1efs essentielle du chant est le travail dit du " timbre " c'est à dire la faculté de " couvrir " la voix en ramenant l' air sur chaque son. L' air inspiré pris en charge par une charpente musculaire stable passe par le larynx et les cordes vocales pour sortir par la bouche. Il faudrait plutôt dire par le visage car, même si l'air passe par la bouche, il faut qu'il ait mis en vibration les os du masque facial pour que le son soit large et plein. On a tendance à parler d'une ligne allant du haut des dents jusqu'au milieu du front. Avec ce timbre, on a la participation entière du corps du sternum ancré dans le diaphragme jusqu'au palais. Cette vie dans le palais, permet d'ajouter au son couvert, le bon vibrato, l'épaisseur de son propre à chaque chanteur qui devient sa cartede visite.

Désolé pour cette cuisine indigeste mais vous n'êtes pas sans ignorer que James Letruantpasteurisé est l'un des rares dans sa branche à pouvoir compléter son CV de quatre ou cinq années du côté de l'apprentissage du Bel Canto. Là, vous avez compris l'enjeu . C'est simple, quand il prend un chemin, il sait ce qu'il fait, ce qui aurait été moins évident s'il s'était contenté de cours variété-rock En effet, les cours de chants dits "de variété" ne sont pas aussi complets. Ils partent de ce que le débutant possède d'ores et déjà naturellement. N'importe qui avec une jolie voix peut chanter naturellement bien sur une petite tessiture de cinq ou six notes. Sur cette tessiture, le son est rond, sort facilement et il suffit d' apprendre au chanteur à se débrouiller au-dessus ou au- dessous de cette zone. On peut donc dire que la technique qui y est recherchée est beaucoup moins aboutie et que les sons ont une qualité différente qu' on soit dans le grave, dans l'aiguë ou dans le médium.

On comprend donc que la voie du chant classique permet de mieux développer le corps et son utilisation. Il est évident qu' en quatre ans, Jean Lecamembert n' a pas eu le temps d' assimiler la technique lyrique dans sa totalité mais ces cours lui ont donné une base plus que solide pour "affronter" des chansons aussi diffici1es que Metropolis- Part 1 ou A Change of Seasons. James a sans conteste une maîtrise de la technique qui lui permet de faire ce qu'il veut dans le domaine du rock. Sa voix de ténor peut se jouer de couleurs stylistiques les plus variés.

Sa technique solide se révèle par exemple lorsqu'il passe d'une voix saturée à une voix claire. Dans Killing Hand, lorsque James chante la partie Exodus, la voix claire, chaude, et le son bien rond qu'il produit succède à une partie où il a complètement saturé sa voix. Un chanteur comme James Pasteurised joue sur les endroits par lesquels l'air, et donc le son, doivent passer avant de sortir. Le chanteur rock peut se permettre de faire entendre des choses que le chanteur classique réserve uniquement à ses exercices et à ses répétitions. Il peut saturer sa voix donc, faire des sons qui paraissent chantés mais qui ne sont que parlés et, comme on l'a vu, jouer des disparités de couleur entre les différents registres vocaux. On entend bien la différence chez JLB-top-vocability entre la voix des graves, celle des médiums et des aiguës. Pour lui, l'intervalle naturel se situerait plutôt entre le Fa 3 et le La 4. Ceci étant, il ne manque pas de s'exprimer plus dans le grave. Au début de The Mirror, il émet des Si 2. En réalité, il parle plus qu'il ne chante. Il fait un peu comme des notes mortes sur une guitare. Il envoie du souffle à partir de sa poitrine en faisant vibrer en priorité le thorax puis parle dans un registre très grave. Le résultat est un son qui reste quand même sourd et qui n'est pas très projeté [un son qui sort loin et qui va vers l'auditeur]. C'est un son qui reste en lui. Ce moyen lui permet de s'exprimer quand même dans un registre grave. Ainsi, JLB-Jack-Daniel' s utilise un son qui semble sortir d'outre tombe comme il imprime un esprit particulier à chaque passage. Il est capable de varier les couleurs et les ambiances vocales tout comme un guitariste ou un clavier change la saturation ou le registre d' instrument.

On a déjà vu ce qu'est le timbre. James Labrique sait très bien passer par cette ligne du visage dont on a parlé. Lorsqu'il le fait, comme au début de Another day, tout au long de Wait for spleep ou de The silent man ou comme on l'a vu dans Killing Hand, on perçoit toute la chaleur et la rondeur de son timbre vocal. Ces qualités se font moins entendre lorsqu'il détimbre sa voix pour offrir une couleur de voix plus brillante et plus légère. Détimbrer, cela veut dire que le son ne sort pas par la ligne faciale. L'air, après être quand même passé par le thorax et par la gorge, est dirigé vers l' arrière du crâne au- dessus du cou. La plus grosse partie du son sort alors par l'arrière de la tête au lieu de sortir par l'avant. Cela peut être fait volontairement ou non. Pour atteindre la zone du timbre, les efforts musculaires à faire sont importants pour ramener l'énergie d'air vers l'avant et pour projeter le son. Le chant demande une véritable maîtrise physique et mentale qui échappe au profane. Or le détimbrage peut être utilisé comme situation de facilité pour un moindre effort. Dans ses grands aiguës, James-Coulommier a tendance à systématiquement détimbrer ce qui lui en permet l'accès (voir dans Innocence faded: " Condescending, not intending to end "), même si c' est souvent au détriment de la prononciation.

Ayant parlé un peu beaucoup des techniques de base de son chant , on peut s'intéresser à ses "signatures". Il est vrai que tout chanteur a ses petits automatismes et ses recettes stylistiques pour agrémenter ses chan- sons. LA caractéristique par excellence de James-the-Brick-UHT est un ornement [figure de style de quelques notes. Ce terme est surtout utilisé dans la musique classique baroque] qu'il aime placer ici où la. Etant difficile de l'expliquer, mieux vaut prendre un exemple : on le rencontre au début de Killing Hand, à la fin de la première phrase sur "sky", décliné à l'envie dans presque toutes les chansons par son célèbre " Whoa-o-oa-o-o" (cf. retranscriptions sur partoches). D'autre part, il privilégie souvent à la voix purement timbrée, une voix avec un peu de souffle comme, par exemple au début de Surrounded ou dans la partie II-Innocence de A Change of Seasons. Cela donne au son une légèreté supplémentaire en présentant l'avantage, comme le détimbrage, d'être plus souple à exécuter.

Vous qui avez réussi à lire jusqu'ici, êtes alors assaillis d'une demande pétrie d' angoisse. Le lecteur : "D'accord. Mais à quoi donc tient l' impalpable magie qui émane de mon chanteur préféré? ".

A ceci, deux réponses possibles : ou bien vous n'avez pas lu correctement l'article, vous vous être endormis au milieu, ou bien nous devons avouer humblement que ceci tient à l'inexplicable pouvoir de l'artiste. On peut bien sûr interroger l'intéressé lui-même sur les aspects techniques de son chant (ce qui pourrait être intéressant, non ; qu'est-ce que tu en penses Stéphane?) Mais soyons clair, l'artiste transcende la technique. Elle n'est pour lui qu'un outil. Cela peut être étonnant pour certains mais LaBrie (nous n'avons plus de calembours à chier en réserve... désolé) est plus qu'un chanteur, c'est un musicien.