Entretien avec Mike Portnoy
Un article de Dreamologie.
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Ca faisait longtemps qu'on ne s'était pas entretenu avec Mike Portnoy ! Au moins... 6 mois ? Mais bon, comme on aime bien discuter avec Mike, et que l'actualité justifiait pleinement que l'on aille s'enquérir des nouvelles du groupe, c'est entre Paris et Nancy, où il allait faire un clinic, que nous avons eu une longue conversation à propos du nouvel album, du futur de Dream Theater, mais aussi de son passé.
Mike Portnoy (feuilletant le n°50 de Hard Rock Magazine) : Waouh, le Blair Witch CD. C'est mon film préféré de cette année. Je l'ai vu deux fois, et c'est franchement excellent.
Your Majesty : Tu as donc le temps d'aller au cinéma, malgré ton emploi du temps hyper chargé ?
Mike Portnoy : J'ai le temps d'aller voir les bons films. Cet été, je ne suis allé voir que Blair Witch Project 2 fois, Eyes wide shut 2 fois et Star Wars. Mais bon, ce n'est pas le sujet de l'interview. On y va.
YM :Beaucoup de gens pensent que vous abordez la musique plus comme des mathématiciens que comme des musiciens ? Qu'en penses-tu ?
MP : C'est effectivement une des facettes de notre groupe... si tu n'écoutes que " Erotomania ", " Ytse jam " ou " Metropolis : part 1 ". Nous essayons de faire une musique très technique, mais ce n'est qu'un des aspects de Dream Theater. Car sur notre dernier album, " The spirit carries on " ou " Through her eyes " sont des chansons beaucoup plus émotionnelles, et vraiment pas mathématiques ! Nous essayons de trouver un équilibre entre la musique qui vient de l'esprit et celle qui vient du cœur. La technique et l'émotion sont les deux éléments qui permettent de faire une musique touchante et intéressante, selon moi.
YM : Mais tu ne penses pas que cela puisse vous desservir d'être perçus comme des gens très froids, qui ne regardent la musique que d'une seule manière ?
MP : Non... Comme je viens de le dire, la technique n'est qu'une caractéristique de notre musique. Si tu fais une K7 avec nos morceaux les plus longs et les plus progressifs, il est clair que les gens vont penser que nous sommes des machines à calculer... Mais si tu fais une autre K7 avec " Anna Lee ", " The silent man " et " Through her eyes ", ils ne seront pas impressionnés du tout et penseront que nous sommes plutôt un groupe dans la veine de U2. C'est vraiment faux de penser que nous ne sommes intéressés que par la technique et la performance instrumentale. Quant à prouver aux gens que nous savons nous amuser, est-ce vraiment l'essentiel? Ceux qui nous connaissent ont leur petite idée sur la question.
YM : Comment avez-vous attaqué ce nouvel album. Avez-vous changé votre manière de composer ?
MP : Absolument, à 100%, et ce pour différentes raisons. La première d'entre elles, c'est que pour la première fois nous avons composé en étant en studio. John Petrucci, Jordan Rudess et moi avions procédé de la sorte pour les deux albums de Liquid Tension Experiment, et ça avait été magique. Notre musique était vraiment neuve et vivante. Nous avons donc voulu appliquer cette recette, rechercher cette alchimie, avec Dream Theater. Ensuite, nous avons composé un album concept, ce que nous n'avions encore jamais fait. C'était pour nous comme écrire une chanson géante de 77 minutes, divisée en différents chapitres. Nous avons toujours composé de la sorte, mais les bouts étaient beaucoup plus petits. Cette fois-ci, nous avons du travailler sur un morceau à très grande échelle, et c'était un peu comme faire un film, plutôt que plusieurs épisodes d'un sitcom. Ecrire un concept album était un challenge énorme pour nous, que nous avions en tête depuis longtemps. Nous avons enfin réussi à le faire.
YM : Combien de temps vous a pris l'ensemble de la composition ?
MP : Nous nous sommes mis au travail en février. Nous avons composé jusqu'à la fin mai. Nous avons pris entre temps un mois de repos, pour que je puisse m'occuper de mon fils qui est né en mars. Après avoir terminé la musique, nous avons pris quelques semaines de vacances et nous avons écrit des paroles chacun de notre côté. Nous nous sommes retrouvés fin juin pour compléter les textes et enregistrer les vocaux. Juillet et août ont été consacrés au mixage.
YM : Etait-ce facile de créer un concept album en studio, sans avoir réfléchi à l'histoire avant ?
MP : En fait, John Petrucci et moi avions une idée plus ou moins précise avant. Nous savions que nous voulions faire un album concept, et que ce serait " Metropolis : part 2 ". Pendant l'enregistrement du deuxième album de Liquid Tension Experiment, John et moi avons énormément discuté de ce nouvel album. Et c'est marrant, car Jordan assistait à certaines de nos conversations, alors qu'il n'était pas encore dans le groupe. Musicalement, nous souhaitions reprendre ça et là des idées de " Metropolis : part 1 " , et surtout ne pas nous limiter comme sur notre précédent album. Pour Falling into infinity, nous étions limités par notre maison de disques, par notre producteur. Cette fois, nous avons été libres et indépendants à 100%. Nous sommes allés aussi loin que possible. Pendant que nous écrivions la musique, nous discutions de l'histoire. Tout se mettait en place en même temps. Et rester en studio nous a permis de nous concentrer totalement.
YM : Penses-tu que le fait d'avoir travaillé sur divers projets, dont LTE, vous a aidé à acquérir cette indépendance ?
MP : C'était surtout notre maison de disques qui nous avait bridés sur Falling into infinity. Ils nous avaient mis la pression, notamment pour que nous travaillions avec des gens extérieurs et que nous leur fournissions des chansons pouvant potentiellement passer en radio. Et nous avions accepté ce challenge. Quelles que soient les conditions, chaque disque est un nouveau défi. Pour nous, être suffisamment ouverts pour travailler avec Kevin Shirley et accepter ses suggestions, ou travailler avec Desmond Child, n'était pas gagné d'avance ; et donc faire ce type de disque n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Je pense que nous avions sorti un album pouvant vraiment passer en radio, que nous avions rempli notre contrat. Une fois que notre maison de disques s'est rendu compte que ce passage en radio tant espéré ne s'est pas concrétisé, ils ont réalisé qu'il était peut-être préférable de nous laisser suivre notre propre voie, sans nous imposer quoi que ce soit. L'indépendance est venue de leur attitude. Ils nous ont payé le studio aussi longtemps que nous le souhaitions, sans entendre la moindre note avant que nous ne leur donnions le produit fini en août.
YM : Et en dehors de sa technique, que vous a apporté Jordan ?
MP : Jordan est très impliqué dans tous les aspects, à l'image de John Petrucci et moi. Nous sommes tous les deux crédités comme producteurs, mais Jordan a également contribué à l'ensemble. Il me rappelle Kevin Moore pour cela, car Kevin était également intéressé par d'autres aspects que son instrument. Mais sa plus grande contribution à ce premier disque avec nous se situe au niveau technique. Il n'a pas été impliqué dans l'écriture des textes, et également assez peu dans la composition des mélodies, mais musicalement, il nous a apporté beaucoup. Il utilise également des sons très innovants. Derek utilisait majoritairement des sons d'orgue Hammond, alors que Jordan recherche la modernité. Il programme pour Kurzweil, et joue beaucoup avec son séquenceur.
YM : Le titre " Home " sort en single. Pensez-vous faire une vidéo ?
MP : Pas pour l'instant, et je ne l'espère pas. Je pense que c'est une grande perte de temps et d'argent pour un groupe comme nous, car nous ne sommes pas calibrés pour MTV. Les vidéos sont, à mon avis, comme les bandes annonces des films. Cet album est comme un film, et on ne peut en donner une bonne image à l'aide d'un clip. J'ai adoré composer notre dernière vidéo longue durée, et j'espère pouvoir continuer à en faire d'autres de ce genre. Mais faire des clips que MTV ne passera jamais, cela n'est que pure perte. La version normale de " Home " dure 12 minutes, et la version single en fait 5. C'est déjà une hérésie. En plus c'est un concept album. La seule chose intéressante serait de tirer un film de notre album.
YM : Comme Brave, de Marillion ?
MP : Oui, comme Brave, ou comme Quadrophenia des Who, ou The wall, ou Tommy(Who). Tous mes concept albums préférés ont été déclinés en films.
YM : Justement, quels sont les albums qui vous ont inspiré ?
MP : Ceux que je viens de citer : The wall, Quadrophenia, Operation : mindcrime (Queensryche), Misplaced childhood (Marillion). Nous avions emporté en studio une large palette de concept albums, dont Amused to death (Roger Waters), Brave, ainsi que d'autres albums qui n'étaient pas des concept albums mais qui nous ont servi de base : OK computer de Radiohead, Dark side of the moon de Pink Floyd, Sergent pepper des Beatles. Simplement parce que ces disques étaient extrêmement audacieux. Nous voulions nous aussi faire un disque audacieux !
YM : N'as-tu pas peur que certains passages de ce nouvel album rappellent trop Pink Floyd ?
MP : Nous avons toujours été coupables de cela, d'afficher ostensiblement nos influences, que ce soit sur nos pochettes ou dans notre musique. Personne ne conteste que " The spirit carries on " est une chanson influencée par Pink Floyd, en particulier au niveau des vocaux et des choeurs. D'ailleurs, alors qu'elle n'avait pas encore de titre, nous l'appelions " le morceau Pink Floyd ". Nous ne nous en cachons pas... Nous n'essayons pas de sonner comme eux, ni de les voler. Mais il y a certaines ambiances ou certaines émotions que des groupes ont parfaitement assimilé, et quand tu essaies de faire ressortir ces mêmes émotions, elles s'expriment d'une manière similaire.
YM : Seras-tu d'accord avec moi si je te dis que ce disque est à la fois plus métal et plus progressif que vos précédents ?
MP : Totalement. C'est définitivement plus progressif, et notamment du fait de la présence de Jordan. Ses qualités techniques sont vraiment exceptionnelles, et il nous a tiré vers le haut. Nous avons donc essayé d'aller plus loin, de rendre les passages progressifs encore plus progressifs qu'auparavant. Et en travaillant avec " Metropolis : part 1 " comme base, cela nous a donné beaucoup de liberté. Quant à l'aspect métal, c'est notre nature même!
YM : Penses-tu que DT en général, et cet album en particulier, peut intéresser des gens qui ne sont pas musiciens ?
MP : Je le crois, oui. Je ne veux pas me répéter, mais The wall et Tommy ont été des succès énormes, et ont plu à beaucoup de gens notamment grâce à leur histoire. Metropolis : part 2 raconte une histoire forte, et les gens qui aiment les films apprécieront sans doute cet aspect là de notre disque. Nous avons vraiment soigné tous les détails de l'histoire et les textes. L'aspect musical est juste un bonus pour les gens qui aiment ce genre de récits.
YM : Ne penses-tu pas que parfois, il y a un peu trop de riffs différents, ou d'idées musicales différentes au sein d'une même chanson ?
MP : Si... Et c'est la spécificté de Dream Theater ! (rires) C'est notre marque de fabrique. Si nous voulions tout simplifier et jouer du rock basique, nous ne serions pas différents des Foo Fighters ou de AC/DC. C'est cela que nos fans apprécient, et qui nous différencie des autres groupes de métal. Nous sommes les premiers à admettre que nous sommes un peu trop axés sur la technique, même si notre musique n'est pas uniquement complexe.
YM : Vous vouliez garder cet album secret jusqu'à la dernière minute, jusqu'à sa sortie. Peux-tu nous dire pourquoi, et les difficultés que vous avez rencontrées ?
YM : C'est ce qui est arrivé à George Lucas : une semaine après que Star Wars est sorti aux USA, on pouvait déjà le télécharger grâce à internet...
MP : Exactement... Et sans avoir la prétention de comparer notre album à Star Wars, il est clair que George Lucas n'a pas fait son film pour qu'il soit regardé sur un petit écran d'ordinateur. Je ne pense pas qu'il apprécie cela. Il l'a réalisé pour une diffusion sur un écran géant, avec un son THX, etc. Et c'est pareil pour nous. Nous voulons que ce disque soit écouté au casque, avec les paroles et le packaging complet. Heureusement, certains fans ont réussi à résister à la tentation d'aller le télécharger sur internet, pour l'écouter dans de bonnes conditions.
YM : John et toi avez produit cet album. Etait-ce quelque chose que vous souhaitiez faire depuis longtemps ?
MP : En ce qui me concerne oui. Mais les autres avaient toujours souhaité avoir quelqu'un d'extérieur au projet pour nous aider, ce que je peux comprendre. Mais cette fois, ils étaient convaincus que pour être en mesure de faire un tel disque, il nous fallait le faire nous-mêmes. Nous avons toujours participé à la production de nos précédents disques, mais là, nous nous sommes vraiment débrouillés seuls.